Une interview avec Jay Jay Johanson
Toulouse, Le Bikini, 10 novembre 97
par Vincent Lavergne

 

On pensait, après le sublime Mogwaï et les navrants Stereophonics, pouvoir se reposer les oreilles : on se trompait méchamment. Jay Jay Johanson joue fort, très fort. Transposés sur scène, les titres cossus de Whiskey deviennent en effet durs et criants de désespoir (l'écoute de Portishead entre temps y est pour quelque chose).On retiendra notamment son étonnante relecture de It hurts me so , hurlée dans un micro trafiqué façon Beth Gibbon et ponctuée de guitare hardcore (si, si). " Les chansons de mon prochain album seront plus dures au niveau du son, des rythmes et des scratchs. Le départ de ma petite amie m'a amené à écrire avec quelque chose que je ne connaissais pas : la colère. Vous sentirez que quelque chose s'est passée à l'époque où j'ai écrit l'album "

Jay Jay Johanson avoue être influencé par chaque coup dur de la vie, et que le départ de sa copine lui a permis d'enregistrer une vingtaine de titres. " C'est triste, j'aimerais dire que je suis un meilleur compositeur quand je suis gai, mais c'est quand je suis malheureux que je crée ". Le paradoxe de son écriture tient dans ce théorème : "c'est à partir de quelque chose de mauvais (le spleen, essentiel pour lui), que jaillit quelque chose de bon". Sur scène en tout cas, Jay Jay éructe de joie et sautille dans tous les coins, lui qui était si calme et réservé durant notre entrevue. Il faut dire que le public français lui est particulièrement réceptif.

Ce succès en France (la seule pour être honnête, l'Angleterre et son pays natal, la Suède le boudent encore), Jay Jay ne l'explique pas, mais dit se sentir proche d'une certaine "tradition française de la chanson" :"Je me sens très proche de la culture française , tant au niveau de la musique que de la littérature ou du cinéma. Mes principales inspirations viennent de Michel Legrand et Francis Lai. J'aime la façon qu'a Michel Legrand de combiner le jazz et la chanson traditionnelle. Les sixties françaises sont importantes pour moi. Tout en essayant d'être moderne, j'aime travailler avec des machines et je ne veux surtout pas que mes chansons paraissent désuètes, ce qui aurait été le cas si j'avais employé un quatuor de jazz classique.

Son amour pour la France, notre crooner suédois l'a concrétisé il y a quelques semaines à Paris en enregistrant un duo avec une chanteuse française célèbre, qui demeure malheureusement secrète. "L'autre jour, j'ai rêvé que j'étais à Paris et que des policiers m 'arrêtaient. Je me retrouvais au commissariat, en plein interrogatoire avec une superbe policière qui tapait ma déposition A mon réveil je me suis dit que c'était une très bonne idée de duo : d'un côté cette voix sexy posant des questions, et mon chant en réponse".

Bon nombre de ses chansons proviennent en effet de rêves et autres images mentales. Interrogé sur l'importance de l'image et la haute teneur cinématographique de ses musiques, Jay Jay avoue être en ce moment en contact avec des réalisateurs : "J'ai samplé sur mon titre I'm older now un extrait de Drowning by numbers de Peter Greenaway, dont je me sens très proche, mais mon réalisateur préféré reste Leos Carax. J'adore aussi l'univers des premiers Walt Disney. En fait, je suis en contact avec les deux premiers, je ne sais pas encore si je concrétiserai leurs propositions".

C'est que Johanson se concentre surtout sur son prochain album, prévu pour le début 98, précédé du duo déjà cité en guise de single. "Le prochain album sera plus long, il contiendra une douzaine de titres. Le plus gros changement sera d'ordre technique : nous nous sommes installé dans un studio plus grand, je me suis mieux entouré, l'ensemble est mieux produit. Du point de vue des compositions, ce ne sera ni une révolution ni la suite ou la parodie du premier album, mais le chapitre 2, si l'on peut dire". Gageons en tout cas à l'écoute des cinq nouveaux titres dont il nous a régalé ce soir-là, que son deuxième opus (à sortir le 8 avril chez Commando!/BMG) fera partie des grands événements musicaux de l'année.

Propos recueillis et traduits
par Vincent Lavergne